Professeur à Sciences Po, titulaire d’un master de géopolitique, Émeric Lhuisset est surtout artiste et photographe. Lorsqu’il va à la pêche aux idées, ses pas le conduisent en zone de guerre. En Irak, en Afghanistan et en Syrie.
« Le reportage de guerre, c’est touchant… mais c’est une approche trop direct », lâche Emeric Lhuisset, 29 ans, professeur d’art contemporain et de géopolitique à Sciences Po mais également artiste-photographe et passionné par l’actualité. « J’ai toujours été fasciné par l’événement historique. Et je souhaite témoigner à travers mon approche artistique. » Voyageant à ses frais, l’artiste-professeur a multiplié les voyages en Irak (tous les ans depuis 2010) et Afghanistan (2004 et 2010). « J’ai gagné de nombreux prix avec mes travaux artistiques. Je les ai réinvestis dans mes voyages. » Pour l’heure, il rentre d’Idlib et d’Alep, en Syrie, où il a passé un mois, en compagnie d’un groupe d’insurgés lié à l’Armée Syrienne Libre (ASL). « Je viens de réaliser une vidéo dans laquelle j’ai filmé 24h de la vie d’un combattant en plan séquence. » A travers son approche plastique, l’artiste veut retranscrire son analyse géopolitique et ré-humaniser les combattants.
Repenser le quotidien. En pratique, l’artiste se déplace avec un sujet d’étude en tête, par exemple, le quotidien des combattants. Mais sans avoir déterminé la forme finale de l’œuvre qu’il veut produire, laquelle découle nécessairement de l’analyse. « Sur place, je vis avec les combattants. Beaucoup deviennent des amis. » Au fil des discussions sur le sens de la guerre, se montent des projets artistiques communs. « C’est une démarche de partage. Ils comprennent très bien la pertinence de mon approche. » Sur place, les rebelles ont parfois internet et même la télévision. Du coup, une fois revenu en France, les discussions continuent, via Facebook, jusqu’à la réalisation finale qui reste centrée sur leurs besoins. « Les combattants sont en permanence dans l’attente. Pour réinventer leur quotidien, je leur ai fabriqué une chaise mobile grâce à du tissu tendu entre deux Kalachnikov. » Est-ce de l’Art ? « Peu importe. C’est utile. Les insurgés que je suivais m’ont remercié d’avoir pensé à eux. » Prochaine étape : industrialiser le procédé et distribuer le produit !
Représentation des conflits. L’artiste travaille également sur une série de clichés intitulée Théâtre de guerre. Les photographies s’inspirent de peintures de 1870, date d’une célèbre débâcle française face à la Prusse. À l’époque, la mise en scène était très forte. L’artiste a repris le principe. « En mettant en scène le conflit, j’invite les gens à se questionner sur le problème de la représentation de la guerre au XXIe siècle. » Selon lui, des mises en scène existent encore dans beaucoup de photos actuelles, qu’elles soient prises par les journalistes ou par les combattants eux-mêmes. «Ces derniers changent d’attitude dès qu’un appareil photo est braqué sur eux. Ils jouent un rôle et prennent automatiquement l’attitude la plus héroïque possible. » Les clichés sont ensuite transmis à une cellule de communication, située à l’écart du front. Là, des combattants sans armes, dotés d’ordinateurs portables, sélectionnent et retravaillent les images avant de les mettre en ligne.
© Guillaume Pierre
Discussion
Pas encore de commentaire.